Entretien avec le réalisateur

Pendant 2 ans, Olivier Cousin a filmé une permanence Cimade de personnes sans-papiers. La permanence RCI- Cimade Belleville -Fessart, dans le quartier de Belleville à Paris. C’est dans cet unique décor qu’il peint les difficultés rencontrées par les étrangers désireux d’obtenir des papiers et de faire leur vie en France. Récits de souffrance, de dignité et d’espoir. La sortie du film est prévue en novembre 2018. Entretien...

Comment avez vous eu l’idée du film ?

Le hasard a voulu que je pousse la porte de l’antenne Belleville-Fessart pour régulariser une amie. Là, dans une grande salle, je me suis retrouvé face à Céline, Sabine, Henry et Caroline qui recevaient les personnes sans papiers. Je me souviens, leur calme détermination, leur refus à laisser les migrants sans papiers, leur lutte obstinée contre le non-respect de la loi.
En face d'eux, une quarantaine de personnes attendait d’être reçu. L'attente était longue mais, contrairement à la file de la préfecture, elle était conviviale. On dormait, on bavardait, on souriait, on pleurait de temps en temps, on criait parfois, mais on prenait des nouvelles des uns et des autres, on racontait sa propre expérience, on partageait de la nourriture, on parlait du pays. Une énergie incroyable se dégageait de cet endroit. Séduit par le lieu, l’ambiance, je me suis engagé comme bénévole à mon tour. J’écoutais, j’aidais au mieux.

Le choix d’adopter le point de vue des personnes migrantes a-t-il d’emblée été une évidence pour vous ?

Je tombais des nues, découvrant que le droit du sol n’a plus cours depuis 1993 ; que le regroupement familial ne fonctionne quasiment plus ; qu’il faut avoir travaillé illégalement en France pour obtenir le droit de travailler en France ; que les étudiants étrangers diplômés ici doivent faire des pieds et des mains pour rester travailler ; que les titres de séjours délivrés ou reconduis chaque année aux étrangers ne représentent que 200 000 personnes, soit 0,4% de la population, contre 0,7% en moyenne dans les pays de l’OCDE ; que moins de 40 000 personnes entrent par an sans papiers en France : elles y trouvent facilement un emploi dans les secteurs en tension en travaillant avec une fausse carte. Les sans-papiers paient des charges, pour des prestations sociales dont ils ne verront jamais la couleur : ils n’ont pour seuls droits que ceux de scolariser leurs enfants et de recevoir une aide médicale d’urgence. Les procédures judiciaires à répétition, menées par les Préfectures, coûtent bien plus cher que l’accueil des sans-papiers. Filmer cette permanence c’est donc une promesse de faire tomber les clichés sur les sans-papiers.

Murs de papiers est-il un film militant ?

En pointant ma caméra le mardi au 25 rue Fessart, je peux espérer lutter contre les préjugés parce qu’en dépit de l’étroitesse des lieux, autour de ces tables, autour de ces papiers, la liberté des échanges n’y a pas son pareil. Chaque histoire est, pour moi, déjà un film en soi et l’on a sous les yeux une illustration patente de la réalité de ce que la France propose aux étrangers qui souhaitent s’y installer. Parlant de situations personnelles, ce sont des droits universels qui sont abordés : la reconnaissance de son identité, la liberté d'aller et venir, le droit de mener une vie familiale normale, le respect de la vie privée, la reconnaissance de la dignité des personnes, le droit d'asile.